Parcoursup

LETTRE D'UNIVERSITAIRES JURISTES DE L'UNIVERISTÉ PARIS-NANTERRE

 

Aux jeunes, on a menti, et abondamment.

On leur a menti, d’abord, en forgeant un dispositif appuyé sur une rhétorique de la «responsabilisation» qui voudrait que chaque élève de 17 ans soit en mesure d’avoir un projet professionnel ainsi qu’une idée claire du type d’orientation académique qui y correspond, tout en interdisant, via Parcoursup, auxdits élèves de hiérarchiser leurs vœux.

On leur a encore menti en leur demandant d’écrire ces fameuses lettres de motivation. Cette exigence est absurde au fond : demander à des jeunes de 17 ans de rédiger des lettres de motivation à l’appui d’une demande d’admission dans des disciplines qu’ils ne connaissent guère ne peut conduire qu’à des lettres stéréotypées.

Mais elle est en outre mensongère : au moment où ces lettres étaient demandées, il apparaissait déjà clairement que, dans leur grande majorité, elles ne seraient pas lues. Et ce, pour la bonne et simple raison que le travail de classement des candidatures Parcoursup – travail colossal qui consiste à affecter 800 000 étudiant·e·s ayant potentiellement fait 10 choix chacun·e – échoit à des universitaires déjà débordé·e·s. Impossible donc pour celles et ceux qui ont accepté de faire ce travail, de ne pas prendre d’abord en considération les résultats scolaires.

Ces résultats, antérieurs au baccalauréat (notes de terminale et de première), constitués de notes non unifiées par un examen national, variables selon les lycées et les politiques éducatives, ont été transformés en critères de sélection des candidatures. Ceci fait écho à la réforme annoncée du baccalauréat, qui repose sur un accroissement de la part de «contrôle continu», et laisse craindre un creusement des inégalités entre lycéen·ne·s. Tout cela programme la fin du baccalauréat qui n’aura plus pour rôle d’établir l’aptitude à suivre les études supérieures de son choix.

Injustice de la mise en chiffres contre injustice du tirage au sort

 

Le «scandale» du tirage au sort dans le système précédent (APB) a largement servi de fondement et de justification à la mise en place de la loi ORE et du dispositif Parcoursup. Il faut d’emblée souligner la part d’instrumentalisation de cet argument, dès lors que le tirage au sort, tout problématique et injustifiable qu’il soit, n’a concerné que 0,4% des affectations dans l’enseignement supérieur en 2017.

Ce qui se profile aujourd’hui, c’est en réalité la généralisation à très grande échelle de quelque chose de plus pernicieux encore que le recours au tirage au sort. Qu’on en juge : dans des filières fréquemment confrontées à la nécessité de retenir environ 10% des candidatures (800 places pour 8 000 demandes ; 60 places pour 600 demandes…), le «classement» qu’il est demandé aux universités de réaliser aboutit à tout mettre en chiffres afin d’intégrer les appréciations qualitatives dans les algorithmes de classement : tel type d’appréciation «vaut» un 15/20, tel autre un 10/20… ; telle filière va privilégier les notes dites «littéraires», telle autre les notes dites «scientifiques».

Mais cette mise en chiffres, sur de tels volumes, ne suffit pas : il faut encore départager les très nombreux ex aequo. Pour aboutir à un classement opératoire, il est nécessaire de descendre jusqu’au troisième chiffre après la virgule !

Si la seule différence entre un·e étudiant·e admis·e et un·e étudiant·e recalé·e tient à un millième de point sur une «moyenne» dont la confection soulève de graves questions de fond, n’aboutit-on pas à un système aussi injuste et plus trompeur que le tirage au sort ?

Philosophie profonde

 

Par-delà la technique (la plateforme, l’algorithme), il y a bien une philosophie, celle de la concurrence généralisée, entre les élèves d’abord, entre les établissements ensuite, au moyen d’une sélection qui ne dit pas son nom et qui est bien envisagée par l’article D. 612-1-13 du Code de l’éducation.

En effet, à supposer même que les bachelier·e·s aient toutes et tous une place (étant entendu qu’il faudra trouver un moyen de mesurer la fuite vers les établissements privés que l’impréparation, la précipitation et la signification de Parcoursup auront causée), ils n’auront de place que là où quelqu’un aura décidé qu’ils pourraient être admis·es. Sans compter – et c’est capital – que le dispositif Parcoursup a été d’emblée pensé en maintenant cette spécificité jamais questionnée de l’enseignement supérieur à la française, à savoir la dualité de formations démocratiques et ouvertes à tou·te·s (principalement les universités) contre grandes écoles et autres grands établissements, qui sélectionnent de longue date.

C’est donc sur l’université essentiellement que pèse l’accroissement de la démographie étudiante, alors qu’elle a connu depuis de longues années une diminution continue des moyens qui lui sont alloués (le nombre de postes d’enseignant·e·s chercheurs·ses atteignant ces temps-ci un niveau historiquement bas).

Conséquence inéluctable du classement des élèves organisé par Parcoursup, le dispositif conduit à un classement des universités et des filières au sein de ces universités. Certes, aujourd’hui, les hiérarchies entre filières existent, mais elles prennent le plus souvent place en quatrème et cinquième années après que l’élève est devenu étudiant·e, après qu’il ou elle a pu faire ses preuves dans une discipline nouvelle, après qu’il ou elle a pu mûrir un projet d’avenir, notamment professionnel.

Le dispositif Parcoursup aboutit à terme à l’instauration d’universités dont la réputation est bonne, composées de bon·ne·s élèves, et d’universités à la réputation moins bonne, accueillant des élèves moins bon·ne·s.

Ce système favorise-t-il la réussite ? Il aurait plutôt tendance à concentrer les difficultés sur certains établissements, ceux sortant leur épingle du jeu faisant figure de modèle. Le dispositif conduit ainsi nécessairement à un classement des universités en fonction non de leur capacité à faire réussir des étudiant·e·s mais du public qu’elles seront en mesure de recruter. Il est tellement facile de faire réussir des étudiant·e·s qui ont déjà réussi.

Aujourd’hui, l’université, en dépit de sa sous-dotation chronique et d’un taux d’échec important à la fin de la première année que seule une authentique politique d’orientation post bac pourrait atténuer, permet à certaines et certains de découvrir, après une scolarité parfois chaotique ou tout simplement moyenne, une vocation, un intérêt, dans un établissement qui délivre un diplôme équivalent à n’importe quel autre établissement.

Naturellement, la sélection à l’université existe (classements selon les résultats, redoublements). Mais elle n’est pas subie par des jeunes à peine majeurs qui n’ont parfois aucune idée de la formation qu’ils demandent. Faut-il rappeler que le droit, la psychologie, la sociologie… sont des matières qui ne sont pas ou peu enseignées au lycée ? Aujourd’hui, le bac conserve encore sa vertu d’offrir à celles et ceux qui l’ont décroché d’être «blanchi·e·s» de leur scolarité antérieure et d’arriver les compteurs à zéro, pour un nouvel enseignement, sans qu’il y ait de hiérarchies trop marquées entre les facultés.

On assiste alors avec Parcoursup à la transposition dans l’enseignement supérieur des travers de la concurrence entre lycées que l’on voit dans de nombreuses régions. Pour l’heure, les universités étaient plutôt épargnées par ce phénomène. Demain, si Parcoursup n’est pas abandonné, elles participeront pleinement aux inégalités entre jeunes, et le droit à une seconde chance, après le bac, deviendra de plus en plus illusoire.

Sans revenir vers le système APB dont les limites ont pu être mesurées, des solutions alternatives ont maintes fois été suggérées (voir entre autres, la pétition «un autre parcoursup est possible»). Au premier chef, la hiérarchie des vœux doit être réintroduite pour respecter les souhaits des étudiant·e·s. Ensuite, la sectorisation doit demeurer le principe de répartition des élèves, sectorisation tempérée afin d’éviter les effets de ségrégation territoriale.

Enfin, en cas d’absence de places dans certaines filières, il faut recourir à des propositions personnalisées, ce qui exige une recentralisation de l’affectation : mobilité aidée dans d’autres universités où des places existent, orientation vers d’autres filières…

Tout ceci requiert un investissement, non pas au service d’une politique d’excellence qui a montré toutes ses limites et a conduit à tant d’impasses depuis vingt ans, mais d’une politique, plus simple, d’attention à la jeunesse, où des conseiller·e·s d’orientation, dont l’existence est essentielle, auraient les moyens de travailler en concertation avec les universités. Les familles vont l’expérimenter dans les semaines à venir : là où APB disait aux élèves qu’il n’y avait plus de place dans une filière donnée, Parcoursup leur communiquera le message qu’ils.elles ne sont pas assez bon·ne·s pour y être admis·e·s.

Telle est bien la philosophie profonde du système : faire peser sur les épaules des jeunes de 17 ans (tant pis pour toi, il fallait obtenir de meilleurs résultats) les choix des gouvernements successifs de diminuer sans cesse les moyens de l’université, privant ainsi inéluctablement ceux qui souhaiteraient s’y former de la possibilité d’y accéder.

A lire aussi Les témoignages d’élèves et d’enseignants dans «Parcoursup, année zéro»

Signataires : Georges Borenfreund, Isabelle Boucobza, Véronique Champeil Desplats, Emmanuel Dockès, Ylias Ferkane, Charlotte Girard, Tatiana Gründler, Nabil Hajjami, Stéphanie Hennette-Vauchez, Arnaud Le Pillouer , Eric Millard, Elsa Peskine, Marjolaine Roccati, Patricia Rrapi, Tatiana Sachs, Laurence Sinopoli, Béatrice Thullier, Marc Touillier, Juliette Tricot, Cyril Wolmark, Lionel Zevounou, juristes universitaires.

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Parcoursup ne réduit pas les inégalités mais les conforte - Faïza Zerouala, Médiapart, 12 juin 2018 mardi 12 juin 2018

 

Depuis la divulgation des premiers résultats de Parcoursup, des lycéens, des enseignants, rejoints par des élus d’opposition, accusent le nouveau système de désavantager les candidats de banlieue, notamment sur la base des résultats des établissements au baccalauréat. Les candidats parisiens sont privilégiés et le quota de boursiers introduit dans chaque formation ne suffit pas à inverser la tendance.

Sitôt que Parcoursup a rendu ses premiers résultats, une musique tenace s’est fait entendre dans la communauté éducative. Les lycéens des quartiers populaires seraient personæ non gratæ dans les universités parisiennes. L’hypothèse, vu la spécificité du système scolaire français, qui agit comme une véritable machine à reproduire les inégalités, est plus que plausible. Seulement, les données permettant d’attester une discrimination induite par le nouveau système d’admission post-bac ne sont pas (encore ?) disponibles. Sur les réseaux sociaux, « la cartographie de l’exclusion avec Parcoursup » est devenue virale.

Des modifications de taille sont survenues grâce à Parcoursup. Dans le précédent système, dans les quatre filières en tension (Staps, droit, psychologie et les filières de médecine), seuls les Parisiens étaient retenus.

La ministre de l’enseignement supérieur a préféré supprimer cette priorité académique et la remplacer par un taux d’acceptation maximal pour les bacheliers « hors secteur ». Du temps d’APB – Admission post-bac –, les lycéens de l’académie étaient favorisés.

Seulement, cette suppression ne devrait pas modifier la donne outre mesure, vu le peu de places offertes. Pire, la mesure regorge de dommages collatéraux.

Cette primauté parisienne ne ravit pas tout le monde. À Paris-VII Diderot, par exemple, rapporte Le Figaro, le directeur de l’UFR de chimie, très réputée, s’agace et confie au quotidien que « l’an dernier, sur les 110 places offertes en première année, environ 40 % étaient occupées par des lycéens venus de banlieue ou de province  ». Mais cette année, le rectorat a concédé seulement 3 % de candidats non parisiens dans l’UFR. Ce qui aboutit à cette situation ubuesque : les jeunes de la banlieue parisienne les plus brillants passeront derrière des lycéens parisiens plus médiocres qu’eux. Le responsable du cursus, Benoît Piro, raconte ainsi :

« Les 13 premiers admis ont des résultats corrects sans plus. Mais dès la 14e place, nous avons un élève parisien qui plafonne à 8 de moyenne générale. Malgré ses 17,5 de moyenne, un candidat du Val-de-Marne, lui, est relégué en attente à la 1 010e place ! »

De fait, le rectorat justifie cette primauté parisienne par la nécessité de réserver cette filière aux Parisiens, car il s’agit de la « seule licence de chimie identifiée » et qu’il faut permettre aux bons éléments des universités de banlieue d’y rester pour que celles-ci ne soient pas des établissements de relégation. Tant pis si cela les prive d’intégrer un cursus prestigieux.

L’exécutif jure, depuis que la loi Orientation et réussite des étudiants a été présentée, que les lycéens d’établissements populaires ou ruraux ne seraient pas discriminés. Sur le terrain, les professeurs subodoraient que leurs élèves seraient désavantagés par la nouvelle plateforme à peine les premiers résultats tombés. Le lycée Paul-Éluard à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, a par exemple été bloqué le 31 mai en signe de protestation contre la discrimination dont les lycéens s’estiment victimes.

Il semblerait que certains jeunes, notamment issus des quartiers populaires, aient reçu particulièrement peu de réponses positives sur #ParcoursSup .

Stéphane Troussel, président socialiste du département de Seine-Saint-Denis, a choisi d’interpeller le 25 mai sur Twitter la ministre de l’enseignement supérieur. L’élu a résumé dans une lettre ouverte les interrogations qui taraudent parents, élèves et professeurs. Il réclame à la ministre des explications à propos des discriminations putatives des lycéens de banlieue dans une lettre ouverte.

L’élu écrit par exemple : « La première vague de réponses sur Parcoursup montre qu’une sélection s’opère en fonction du quartier et du lycée d’origine. Ce nouvel outil, opaque et inefficace, risque donc de creuser les inégalités et d’aggraver le sentiment d’injustice, notamment dans les quartiers populaires. » Il se demande également si « la localisation des lycées, et donc des quartiers, peut avoir été définie comme critère pondérant pour être accepté·e ou non dans certains établissement de l’enseignement supérieur ». La ministre lui a répondu, pour le détromper évidemment, par le même canal. Pour elle, Parcoursup est « non seulement un instrument de lutte contre les inégalités territoriales, mais également contre les inégalités sociales ».

Pas de quoi convaincre Meriem Derkaoui. La maire communiste d’Aubervilliers a ouvert une permanence quotidienne destinée aux lycéens et baptisée « SOS Parcoursup ». Les jeunes peuvent ainsi s’informer concernant leurs options d’orientation, être soutenus dans leurs démarches et surtout être recensés comme victimes d’un dysfonctionnement éventuel. Seulement, quelques chiffres permettent d’esquisser un début de réponse. À une semaine du bac, sur 810 000 candidats, 625 293 candidats ont reçu au moins une proposition, 318 340 ont définitivement accepté l’un de leurs vœux, 186 760 sont encore « en attente ».

Lors de la divulgation des premiers résultats, le 22 mai, plus de la moitié des candidats étaient « en attente », parmi lesquels des lycéens de quartiers populaires. SUD Éducation s’est chargé de répertorier les situations tendues çà et là, tout en sachant que ces résultats ne sont pas totalement représentatifs, même s’ils répercutent les pourcentages d’affectation de 11 500 lycéens, soit environ 370 classes.

Au premier jour de l’ouverture de Parcoursup, par exemple, 71 % des élèves de terminale du lycée professionnel de l’ENNA de Saint-Denis en Seine-Saint-Denis se sont retrouvés sans propositions, avec des non ou des «  en attente ». En Seine-et-Marne, ce sont 74 % des élèves du lycée Henri-Becquerel qui attendaient une réponse. Le 1er juin, 54 % des candidats inscrits en Seine-Saint-Denis attendaient encore des résultats, comme 63 % de leurs camarades des Hauts-de-Seine. Plus de deux semaines plus tard, les différentes situations se sont décantées, mais le syndicat pointe une forte disproportion entre les élèves des différentes séries. 59,5 % des élèves en attente recensés sont en baccalauréat technologique, 60,9 % étant issus de la filière professionnelle, et environ 40 % relèvent des trois séries des filières générales (L, S, ES).

Sophie Vénétitay, professeure de sciences économiques et sociales dans l’Essonne et responsable du SNES-Versailles, rapporte encore que dans une classe de STMG de 34 élèves, 19 d’entre eux sont toujours sans proposition, soit 55,8 %. Dans l’autre classe de STMG, 46,8 % d’élèves sont eux aussi en attente. Par effet de contraste, au lycée Hoche, à Versailles, l’un des meilleurs lycées de l’académie, à la date du 4 juin, 94,8 % des élèves avaient au moins une proposition ferme. Il ne restait plus que 21 élèves avec uniquement des vœux « en attente ».

Ce qui lui fait dire que les élèves des filières technologiques semblent plus touchés que les élèves des filières générales par le phénomène de file d’attente, puisque d’autres établissements connaissent des taux similaires. La professeure explique son point de vue : « Il ne s’agit pas de défendre l’idée qu’il faudrait vider les facs de banlieue et de tout miser sur Paris au détriment des facs de proximité, mais bien de pointer le fait que les élèves de banlieue ont été encore plus mal traités par Parcoursup que par APB, car le lycée d’origine semble avoir pesé plus lourd que l’an dernier. »

Pour nombre d’enseignants, le doute demeure. Notamment parce que les critères utilisés pour sélectionner les étudiants sont flous et répondent aux problématiques et aux désirs de chaque commission de classement des dossiers installée dans chaque filière. Impossible d’être sûr que le lycée d’origine n’ait pas été pris en compte dans la répartition des futurs étudiants.

Des quotas de boursiers différenciés d’une filière à l’autre

La très prisée université de Paris-V Descartes a avoué pondérer les notes des élèves en fonction de leur lycée d’origine en Paces (première année commune aux études de santé) et en droit, deux des filières les plus demandées. Pratique déjà courante dans les filières sélectives.

Maîtresse de conférences en sociologie à l’université Paris-VIII Vincennes-Saint Denis, Marie-Paule Couto a étudié les discriminations induites par Parcoursup à l’aide des données disponibles sur la plateforme. Elle explique que l’hypothèse selon laquelle certains établissements auraient pris cette option est difficile à attester, puisque l’outil d’aide à la décision mis à disposition par le ministère pour effectuer les classements au sein des commissions ne la prévoyait pas. Mais «  il est techniquement possible de le faire à la main  », rappelle la chercheuse.

Julien Gossa, maître de conférences à l’université de Strasbourg, explique dans un article sur son blog qu’il est parfaitement possible d’attribuer un bonus ou un malus aux élèves en fonction de leur établissement d’origine. Ce en prenant simplement en compte le taux de mentions le plus élevé de tel ou tel lycée, des données rendues publiques par l’Éducation nationale.

D’où la demande insistante de plusieurs acteurs de la communauté éducative pour que le ministère exige des universités qu’elles dévoilent leurs critères de classement, ne serait-ce que pour dissiper les interrogations.

Afin de donner une coloration plus sociale au nouveau dispositif Parcoursup, il a été décidé que dans chaque filière, une proportion de boursiers de l’Éducation nationale soit édictée. Ces quotas, mis en place dans un élan assumé de discrimination positive, sont fixés par le recteur. Pour le ministère de l’enseignement supérieur, cela permettra aux universités d’accueillir « des publics divers  ». Seulement, comme le souligne Marie-Paule Couto, les quotas d’étudiants boursiers sont variables d’un établissement à l’autre, ce qui annule une partie de l’effet recherché. « Cela ne lutte pas contre mais reproduit les inégalités voire les institutionnalise. Par exemple en droit à Paris-VIII, il y a un quota de 16 %, alors que le chiffre est de 2 % à Assas [l’une des universités les plus prestigieuses – ndlr]. Du coup, cette mesure ne corrige rien en définitive. »

De fait, l’exemple est significatif de cette différence perpétuelle entre Paris et sa banlieue. Catherine*, conseillère d’orientation psychologue de l’Éducation nationale depuis 20 ans, exerce dans un lycée de Seine-Saint-Denis et souhaite rester anonyme. Elle partage le même avis que Marie-Paule Couto. Lorsqu’elle a découvert les quotas de boursiers fixés dans chaque formation de licence, elle est restée stupéfaite. Elle a pu apprécier les écarts entre universités et entre filières. Pour elle, il est indéniable que le procédé est « scandaleux, car il conforte et entretient les discriminations scolaires ».

Elle a relevé par exemple les mêmes écarts entre les universités intra- et extra-muros. « Pourquoi en éco-gestion à Paris-II y a-t-il 3 % de boursiers, 7 % à Paris-I, et à Villetaneuse 21 % ? Si les quotas servent à perpétuer les discriminations, à quoi cela sert-il ? Il ne faut pas blâmer Parcoursup. C’est un outil qui traduit une politique d’accès aux paramétrages ahurissante. » Elle raconte qu’il lui est difficile au quotidien de voir des jeunes de son lycée désemparés car encore « en attente  ».

La ministre s’échine à affirmer que le nouveau dispositif est plus juste, plus humain et fonctionne bien mieux que les années précédentes. Elle a tenté de mesurer ce qu’elle considère comme une violence symbolique et c’est sans appel : « Avec APB, à la même époque, 18 % des élèves en première phase n’avaient rien. Cette année, le 23 mai, 54 % des élèves de terminale étaient en attente ou avaient leurs vœux refusés. »

Ce sentiment de discrimination ancré chez les élèves et leurs professeurs n’a rien de neuf. Mais le précédent système parvenait à le masquer plus subtilement. Dorénavant, un système élitiste et hautement sélectif est institué au vu et au su de tous. Les meilleurs sont les premiers retenus. Les autres doivent patienter de longues semaines. Les lycéens de filières professionnelles, plus nombreuses en banlieue, reçoivent eux aussi moins de réponses selon Sud Éducation. Autant d’alertes formulées dès le départ par les opposants à la loi.

Leïla Frouillou, sociologue et maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre, a étudié les phénomènes de ségrégations géographiques et scolaires dans le cadre de sa thèse. Elle considère qu’instaurer des quotas de boursiers a été le seul moyen pour le ministère de désamorcer la critique qui lui est faite d’accroître, ou du moins de ne pas endiguer, les inégalités sociales et territoriales. « Ces taux de boursiers ont été négociés avec chaque recteur, ce n’est pas uniforme d’une université et d’une filière à l’autre, donc, forcément, cela va créer des segmentations sociales. Accepter des élèves boursiers ne va pas remettre en cause les classements effectués en amont pour classer les dossiers. Les formations vont aspirer les meilleurs éléments, les exceptions du système. Il va y avoir avec ce procédé une sursélection, qui va de pair avec la hiérarchisation entre les filières. »

Sophie Vénétitay déplore que l’opacité sur la fixation des quotas de boursiers demeure. La professeure a réclamé ces données au rectorat de Versailles, sans succès. «  Cela renforce notre incompréhension  », dit-elle. Contactées par Mediapart, ni l’académie de Versailles ni l’académie de Paris ne nous ont répondu sur ce point précis.

Dans un spectre plus large, Leïla Frouillou craint que désormais, « avec tous ces critères, on [n’homogénéise] le recrutement des filières, qui visent un certain public, sans compter que ces critères favorisent les processus d’autocensure. La hiérarchisation scolaire des formations va s’accentuer et, de fait, le cadre national du diplôme ne sera plus garanti ».

Sans compter que les nouvelles modalités d’accès au supérieur, qui prévoient par exemple de fournir une lettre de motivation et un C.V. pour chaque filière demandée, peuvent pénaliser les élèves les moins favorisés, qui ne fréquentent pas les établissements les plus cotés. Le poids du milieu d’origine a de fortes implications dans la réussite scolaire, comme le démontrent à longueur d’études les sciences de l’éducation. Au vu des cafouillages de Parcoursup, les jeunes risquent de se brider lors de la formulation de leurs vœux d’affectation dans les prochaines années, avertissent des sociologues. Les filles issues des quartiers populaires seront de plus victimes de la double peine.

À terme, les inégalités filles-garçons seront elles aussi accrues, selon Marie-Paule Couto. Elle a développé cet argumentaire dans un article publié sur le site La Vie des idées, coécrit avec sa consœur Fanny Bugeja-Bloch. Les jeunes femmes seront exclues de l’enseignement supérieur, alors qu’elles composent la majorité des élèves de l’université. Mais elles ont tendance, et pléthore d’études le prouvent, à se censurer dans leurs choix.

Pour la simple raison que lorsqu’il y a des processus en amont d’une procédure, les mécanismes d’autosélection s’accroissent et les femmes se les appliquent beaucoup plus. « Les filles ont de meilleurs résultats scolaires que les garçons, rappelle Marie-Paule Couto, et elles aspirent plus que leurs homologues masculins à intégrer l’université. Mécaniquement, cette réforme les concerne en premier lieu, d’autant plus que dans les quartiers populaires les inégalités sociales se jouent plus tôt. Les garçons sont très vite orientés plutôt vers les filières courtes. »

Ces risques induits par une sélection accrue à l’entrée de l’université ont été mis en évidence dès l’annonce de ce nouveau dispositif par des enseignants et les syndicats, lesquels n’ont jamais été écoutés par le gouvernement. Ce dernier n’a même jamais prononcé le terme ou sinon pour se défendre d’en instaurer une. Peu importe, le résultat est aujourd’hui évident.

Source : http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article8355

Article entier sur : https://www.mediapart.fr/journal/france/120618/parcoursup-ne-reduit-pas-les-inegalites-mais-les-conforte?page_article

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